A l’occasion de la récente parution de son recueil « Lauriers pour l’Ukraine », Bernard Anton nous a accordé un entretien exclusif autour de cet écrit.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Quand j’étais jeune, je voulais devenir acteur, avocat ou médecin. Je ne tolérais pas l’injustice ou les mauvais traitements. J’étais toujours porté à aider les faibles et les malades. Enfant, je regardais à la télévision les reportages sur différentes guerres en cours et m’écriait : « Pourquoi est-ce qu’ils font cela ? Nous sommes des frères ! Quelle absurdité ! La barbarie à l’état pur. » L’amour de la littérature l’a vite emporté. C’est avec des mots que, dans Lauriers pour l’Ukraine, je dénonce aujourd’hui l’injustice et viens au secours des affligés. J’invite ceux et celles que je côtoie, par ma pratique de l’enseignement et de l’écriture, à éveiller leur conscience.
peut-on hésiter / de défendre l’opprimé ? / le soleil est mort
Vous êtes l’auteur de nombreux ouvrages (plus de 50), parlez-nous de votre carrière d’écrivain ou plutôt de poète ?
Ma carrière s’est bâtie toute seule, au fil du temps, sans m’en rendre compte. Chaque année, c’était un projet d’écriture, un livre qui venait m’habiter, selon les circonstances et les priorités. Je le portais jusqu’à l’accouchement (sa publication). C’est maintenant l’heure des bilans. En effet, plus de cinquante livres publiés (poésie, slam, conte, théâtre, roman, nouvelles, essai, matériel pédagogique…). Le tout, centré sur l’être humain et ses aspirations.
Je suis essentiellement poète. La poésie qui est un « haut langage » selon un théoricien, correspond à mon besoin inné de créativité. Elle peut également se présenter sous forme de prose, mais la source est la même.
cadavres partout / tortures et maints charniers / le ciel le permet ?
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je suis à l’écoute de ce qui se passe en moi et autour de moi. Mon environnement m’inspire ce que je dois écrire. Je n’ai jamais « forcé la note ». Je ne suis pas le genre d’écrivain à s’assoir de 9 à 5 pour écrire. J’écris comme ça vient, quand ça vient. Bien sûr, il y a le travail de l’artisan après pour éviter les répétitions, choisir un vocabulaire juste et varié, clarifier la pensée.
Je suis bien incarné et engagé dans ce que vit la société, tout le contraire du poète qui reste dans sa tour d’ivoire. Les événements, les peines et les joies des autres m’inspirent. Mon seul mérite est d’être au diapason et disponible. Il y a des thèmes auxquels je suis sensible comme l’amour, la fragilité et le bien-être de la vie humaine, la nature.
que redoutez-vous ? / arrachez donc la racine! / soulagez les ombres!
Votre prochain livre sort le 2 juin aux éditions Les Impliqués, vous avez voulu rendre hommage à l’Ukraine ?
Les images qui nous proviennent directement de l’Ukraine, depuis quelques mois déjà, sont horribles. De quel droit un pays envahit impunément, détruit, rase des régions entières, chassant, déportant, torturant, violant, éliminant des civils innocents, juste pour étendre son territoire, redessiner sa carte géographique et avoir un accès à la mer ? Est-ce encore possible au XXIe siècle, après tant de progrès à tous les niveaux, y compris législatifs et en lien avec les droits de la personne ?
Ces interrogations ont motivé l’écriture de ces brefs poèmes à la japonaise. Au début, c’était un besoin de défoulement, un cri de désespoir, ma façon thérapeutique d’exorciser la colère qui montait en moi devant tant d’horreurs. Je me suis rendu compte, au bout de quelques semaines, que c’était plus qu’un journal intime ou des notes sporadiques couchées sur des bouts de papier, mais bel et bien un recueil qui se formait progressivement au quotidien.
Je voulais que ces haïkus sur la guerre ukrainienne transcrivent les scènes insoutenables relayées par les médias, car on ne peut pas taire cela. Les cacher, c’est en être complices. Ces pages constituent à présent un mémorial de ce tragique épisode qui, j’espère, finira bientôt.
J’admire le courage et la résilience du peuple ukrainien et de son président. Ils méritent bien notre soutien. Nous n’en faisons pas assez pour les sauver. Leurs sacrifices sont énormes.
deux coups de canon / l’auto est pulvérisée / vieux carbonisés
En tant que penseur humaniste que pensez-vous de ce conflit ?
Je suis totalement ébahi, bouleversé. Comment peut-on laisser un seul individu mettre le monde à l’envers, sans intervenir ni arrêter ses agressions quotidiennes qui dépassent tout entendement ? Comment peut-on permettre à tant de mensonges de justifier un génocide et une politique constante de la terre brûlée ? Voir, en outre, leur chef religieux approuver ces massacres ôte toute confiance dans les institutions !
Plus que la politique, ce qui m’intéresse, c’est l’humain qui souffre, son droit à une vie paisible, le respect de l’autonomie et de l’intégrité d’un pays. Sinon, ce n’est pas vivable. C’est la loi de la jungle et l’on retourne à ce moment à l’âge de pierre. N’est-ce pas ce qui arrive ?
Quand les nouvelles rapportent un crime commis dans la communauté, les gens s’exclament. Dans cette guerre, des centaines de milliers de crimes horribles sont commis depuis des mois et le monde n’est pas plus réactif que cela. Seulement des sanctions, laissant ces destructions se poursuivre ! C’est totalement inacceptable.
Qu’il était naïf l’appel d’un leader, lors de la création de l’Organisation des Nations Unies : « Plus jamais la guerre ! » L’être humain, étant ce qu’il est, portant en lui le potentiel de domination, incapable de contrôler ses ambitions, aveuglé par son désir de régner, est encore capable, malheureusement, des pires atrocités. Nous le voyons clairement aujourd’hui.
tous les délits permis / absence de conscience / aubes fracassées
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
L’intolérance, l’injustice, l’hostilité, la guerre n’ont plus leur place dans une société démocratique et civilisée. Il faut en guérir. Toute violation de l’intégrité d’autrui nous rappelle combien de chemin il nous reste à faire pour arriver à la paix, au respect et à la vraie convivialité.
Il y a un déficit flagrant d’amour, de justice, de paix. Ce sont ces valeurs qui aident à vivre, à exister, à être heureux. Sinon, c’est l’enfer, et nous ne voulons pas cela sur la Terre !
crise humanitaire / les pierres et forêts pleurent / la chair à canon
la boue protectrice / enlise les ennemis / ah ! mère nature !
Les haïkus cités dans cette entrevue sont des extraits de Lauriers pour l’Ukraine.