Bernard Anton présente la muse

A l’occasion de la récente parution de son recueil « La Muse », Bernard Anton nous a accordé un nouvel entretien exclusif autour de cet écrit.

Bonjour Monsieur Anton ! Votre recueil de nouvelles La Muse comprend plusieurs petites histoires sur de nombreux thèmes dont la vieillesse ou les dysfonctionnements de la société moderne. Vous êtes-vous inspiré de faits divers ayant vraiment existé pour imaginer vos récits ?

Tout ce que j’écris est vrai. Je n’ai pas l’imagination fulgurante des auteurs de science-fiction qui inventent de toutes pièces des histoires, des situations et des personnages farfelus, irréels. C’est le contraire. Je me base sur le réel. Le réel m’inspire et me nourrit. Il me suffit pour construire mes nouvelles. Celui qui sait observer trouve tant de choses à décrire autour de lui. Personnellement, ça me prend toujours un noyau vrai, des personnages que je connais, qui ont vraiment existé. Il faut que je m’identifie un peu à eux. L’empathie développe le reste. Une fois cette étape préliminaire franchie, je peux broder autour sans limites. Les éléments solides et tangibles doivent être là au préalable et me servir de fondement. J’en dégage ensuite les valeurs inhérentes ou leur portée humaine et les mets en valeur. Puis, je cherche la leçon de vie, le brin de sagesse qu’on peut tirer de ces faits vécus.

Les deux thèmes que vous évoquez me sont chers. En effet, je suis traumatisé par la vieillesse, la décrépitude et la maladie qui nous mènent (en nous malmenant parfois) jusqu’à notre fin dernière. Nous sommes trop beaux pour mourir. Nous devons vivre éternellement et en santé. La mort est un thème majeur dans mon œuvre. J’en parle souvent. Le dysfonctionnement de la société me révolte aussi. Je ne peux supporter le mal ni l’injustice sous toutes leurs formes.

Souvent, la poésie que vous chérissez tant s’invite dans ce recueil. Est-ce que vous avez inclus des vers écrits au préalable où les rédigez-vous en même temps que votre nouvelle ?

Les deux, en fait, selon le besoin. J’intègre, si nécessaire, un poème déjà écrit s’il colle parfaitement à la situation. Cela m’évite de me répéter. Par exemple, le poème Dysharmonie qui figure dans Le jeu en vaut-il la chandelle ? illustre adéquatement l’état d’âme de Mike Turn à ce moment-là. Alors, pourquoi pas ? Cependant, les haïkus à la fin de chaque histoire sont rédigés sur mesure, pour prolonger poétiquement la nouvelle.

Il m’arrive, mais c’est assez rare, de recourir aux poèmes des autres pour soutenir et enrichir mes propos, par exemple, la citation de quelques vers de Malherbe sur la fragilité de la vie dans La générosité de Violette. Je cite José-Maria de Hérédia à deux reprises. Je peux référer également à une ou deux phrases de chansons connues, ce qui donne une ambiance musicale à la scène décrite. Ces citations, comme les exergues, relèvent de l’héritage commun, d’une communion d’esprit. C’est ce qu’on appelle la culture. Je mêle ma voix à celle de mes prédécesseurs pour chanter en chœur !

Qu’est-ce qui est plus simple pour vous : écrire des nouvelles ou de la poésie ?

Bien sûr que la poésie est plus simple parce que plus courte. Dans mon cas, elle est souvent spontanée. Ça vient tout seul. Ça sort d’une façon naturelle. Mes plus beaux haïkus ont été écrits, sans effort, alors que j’essayais de dormir, ou en conduisant. Ça me tombe dessus, cadeau du ciel ! C’est de l’ordre de l’intuition. Je suis à l’écoute de mon inconscient et j’accueille ce qu’il a à me dire.

La nouvelle par contre est plus laborieuse. C’est un travail de longue haleine. « Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage », disait Boileau. Même pour mes nouvelles, j’ai été foudroyé par des bouts de phrases, en pleine nuit. Je les intégrais le lendemain au texte. Exemples : « Merci joyeuse fatalité », ou « Une vie réussie est composée d’une série de réjouissances », ou « N’y a-t-il pas plus de clémence et de droiture chez les Algonquins qu’au sein de notre société qui se vante fallacieusement d’être civilisée ? ».

C’est plus difficile, une nouvelle, au niveau du style, de la syntaxe. J’ai horreur, par exemple, des répétitions. Je vais donc à la chasse des synonymes. J’aime que mes phrases sonnent différemment, qu’elles sortent un peu de l’ordinaire, qu’elles portent mon empreinte. La prose est difficile, surtout quand j’essaie de la rendre souple, légère, poétique. Bref, moins prosaïque. Par exemple, quand je compare le poème à « une salade printanière dans laquelle on intègre les légumes de son jardin ».

À la fois, le poème et la nouvelle sont des « morceaux de vie », des fragments du quotidien, des photos d’événements lumineux que j’ai vécus ou dont j’étais témoin.

Ces deux genres littéraires émanent de la même source, pour moi, et ont une dimension verticale, c’est-à-dire un désir de s’élever, alors que la société, souvent inhumaine, nous happe vers le bas.

Il y a aussi le récit, plus linéaire, comme raconter un voyage (De Bruxelles à Florence) ou une série d’événements (L’œil de lynx de l’observateur). J’aime beaucoup ce dernier texte. Avec détachement et une attitude très zen, voire hindouiste et bouddhiste, le narrateur fait le tour de ses voisins avant de déménager. Nous avons là une brochette d’énergumènes qui représentent bien la diversité de nos communautés. C’est notre monde d’aujourd’hui. C’est une des forces de ce recueil : sa brûlante et vivante actualité.

Est-ce que vous considérez que votre ouvrage est engagé et politique ? Merci de justifier votre réponse en détail.

Engagé, oui. Politique, non. Pas, du moins, au sens fort du terme. Je ne suis pas de ceux qui habitent une tour d’ivoire et qui n’en descendent jamais. Je pense que les artistes doivent refléter les joies et les peines de leur époque, de leur environnement, en être solidaires. Quand j’étais très jeune, je croyais à l’art pour l’art. Mais depuis des décennies, ma conscience me pousse à défendre les démunis, les opprimés. Par exemple, je ne peux demeurer indifférent devant la crise climatique, la guerre en Ukraine, les injustices sociales, le mal qui sévit et brise des vies.

Toute mon énergie créatrice est au service du bonheur de l’être humain. Je veux son bien-être, son épanouissement. J’étais candidat au Parti vert, il y a plus de vingt ans. Je voulais m’engager politiquement pour servir efficacement la société. Je n’ai pas été élu ! Le destin voulait que je me consacre davantage à ma carrière littéraire. J’ai vécu durant la campagne électorale l’effervescence épouvantable du politicien. Ce dernier, s’il veut remplir sa tâche correctement, ne vit plus pour lui, mais pour les autres. Il doit être disponible à 100 % sur la scène publique, rencontrer les citoyens, répondre à leurs besoins énormes qui sont tous urgents. C’est assommant d’être constamment sollicité. J’ai failli faire une dépression.

J’aime la tranquillité, la solitude, la paix. En politique,  il n’y a que la guerre, le mensonge invétéré, le bluff et les attaques féroces des adversaires pour gagner le pouvoir. Non, je choisis de vivre d’une façon sereine et m’occuper de moi-même. Donc, l’écriture me convient parfaitement. Je suis toujours au service de la communauté, mais autrement, à mon rythme et discrètement. Mes ouvrages sont impliqués dans plusieurs causes humaines que je considère sacrées, car tout humain est sacré. Je mets mes talents d’écriture et de réflexion au service de mes lecteurs.

Selon vous, quels sont les ingrédients d’une nouvelle réussie ?

Une nouvelle, c’est un mini-roman. Presque les mêmes ingrédients, mais en abrégé. Moins de personnages et de détails. Pas de descriptions longues ni inutiles. La nouvelle permet d’aller droit au but tout en demeurant aussi valable, riche, grandiose et enrichissante. Il y a un début et une fin surprenante. Le protagoniste évolue. Tout est centré sur lui. Ça me convient parce que ma capacité de concentration est limitée depuis que j’ai eu un gros accident de voiture en 2005. LA MUSE est un recueil qui a été écrit il y a 5-6 ans. Je l’ai travaillé et retravaillé longuement. J’ai eu d’autres priorités, entre-temps, d’autres livres qui ont paru et qui me semblaient plus urgents. C’était écrit avant la pandémie et avant la guerre en Ukraine. Je ne sais pas comment je vais écrire après ces deux catastrophes. Mes nouvelles ont seront sûrement affectées.

Bref, pour réussir une nouvelle, l’émotion doit être poignante, originale, avec des éléments de surprises.

Avez-vous déjà un projet pour un autre recueil de ce type ?

J’ai deux manuscrits en chantier. Un autre recueil complètement consacré à l’Ukraine. Plus de 150 haïkus très forts qui vont encore plus loin que Lauriers pour l’Ukraine. J’y annexe une postface pertinente sur cette invasion injuste. J’ai, en outre, un autre recueil de nouvelles qui seront assez sombres. Je les lis et relis depuis 6-7 ans. Je les laisse décanter comme on fait avec le vin pour qu’il soit encore plus pur et plus délicieux. De plus, une réédition d’un essai sur l’environnement, Living Earth, publié en traduction anglaise en 2011, va paraître bientôt. Vous voyez ? C’est pas mal occupé. Je suis maintenant à la retraite et j’en profite pour me consacrer davantage à mon œuvre.

Pour en savoir plus sur Bernard Anton : https://www.bernardanton.com/