Non aux inégalités obscènes, oui à de plus justes partages ! Par Gabriel Langouët

Titre du livre : Non aux inégalités obscènes, oui à de plus justes partages !

Auteur : Gabriel Langouët

Genre : Essai, sociologie

Prix : 8,80€

Résumé / synopsis

La Covid-19, comme toutes les maladies fortement contagieuses, est d’abord une maladie de pauvres, qui se développe dans les zones fortement urbanisées, où habitent des familles parfois nombreuses, dans des logements souvent trop exigus. Cet ouvrage dresse un bilan provisoire de la pandémie lors de notre sortie de confinement. Ce bilan est déjà très lourd, et atteint notamment les plus démunis et les plus fragiles. Mais, aujourd’hui, le risque majeur est sanitaire et reste celui d’un second pic. Ensuite s’imposera un bilan définitif. Pourtant, déjà, des voix se lèvent, souvent indécentes, pour demander plus d’efforts et relancer une folle course aux profits. Alors que l’urgence sera de reconstruire un meilleur système de santé et de protection des humains et de la planète entière, ce qui suppose la fin des inégalités obscènes et un plus juste partage. Plus que jamais, rien ne doit être comme avant. Non à la pauvreté, mais oui à une juste revalorisation immédiate des salaires des plus humbles, et notamment de celles et de ceux qui ont œuvré pour que la vie sociale perdure. Et oui à une stricte égalité entre les femmes et les hommes. Non au repli sur soi et à la tentation du protectionnisme, mais oui à une Union européenne enfin capable de défendre des intérêts communs et de peser, face aux deux États géants de la planète. Non aux démantèlements des services publics des États, mais oui à leurs réajustements, notamment dans les secteurs essentiels, tels que la santé, l’éducation et les transports. Non aux paradis fiscaux et aux banques coupées du réel, mais oui à une autre économie, résolument orientée vers le développement harmonieux et le bien-être de tous les humains. Alors, et ensemble, oui à une écologie et à une économie concertée, avec lesquelles tout deviendrait possible.

Avis du chroniqueur

Note de lecture proposée par Charles Hadji, Professeur Honoraire de l’Université Grenoble Alpes (UGA)

Le long confinement provoqué par la pandémie de Covid-19 a été, pour certains intellectuels, une occasion inattendue, mais finalement fort opportune, pour prendre du recul, réfléchir, et rendre compte de cette réflexion dans un écrit-bilan, faisant le lien entre le « monde d’avant », mis à mal par la pandémie, et le « monde d’après », qu’il faudra bien inventer. Bruno Latour, par exemple, a publié dans cet esprit « Où suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres ». L’essai, court, mais dense, riche, et particulièrement stimulant, que vient de nous offrir Gabriel Langouët, sous le titre Non aux inégalités obscènes ! Oui a de plus justes partages !, et qui a pour sous-titre Le long confinement… Et demain ?, aurait pu être intitulé : Où en suis-je ? Car l’histoire immédiate du confinement vient percuter l’histoire personnelle et scientifique du sociologue, pour le conduire à s’interroger sur la pertinence de ses travaux et la justesse de son combat, combat d’une vie, contre les inégalités. Le « moment » confinement est ainsi révélateur du sens de cette vie.

Cet essai a un triple mérite. Rappeler, preuves à l’appui, l’importance des inégalités de tous ordres qui fracturent nos sociétés, et les effets délétères qu’elles provoquent sur les populations qui en souffrent. Attirer l’attention sur l’importance et l’urgence du combat à mener pour une réduction des écarts et un meilleur partage des richesses. Et suggérer quelques pistes pour mener, et pourquoi pas gagner, ce combat, dans lequel la pandémie nous somme impérativement de nous engager, dans la mesure même où elle frappe plus durement les plus démunis.

Il s’agit donc d’un livre de combat. Combat contre les « trop grandes inégalités » qui, « lorsqu’elles se cumulent, accroissent la pauvreté, et la grande pauvreté ». C’est pourquoi « elles doivent être dénoncées, combattues sans relâche » (p. 25). L’objectif premier de l’auteur est de « mieux faire connaître ces grandes inégalités, et les injustices qu’elles révèlent ».

Cette prise de conscience est indispensable à l’heure de la pandémie. Le confinement a été particulièrement dur pour les plus faibles (les démunis, les sans-abris, les « plus modestes », les familles monoparentales). Il a révélé les fragilités, et fait naître de « nouvelles inégalités ». Ce qui provoque, chez l’auteur, un double mouvement : mouvement d’indignation, devant des injustices « insupportables » (p. 46) et « inacceptables » (p. 16) ; et mouvement de recherche de connaissances, car il s’agit de fonder et d’affiner un diagnostic, en remontant en quelque sorte aux origines du mal qui frappe la société contemporaine, et dont la pandémie est à la fois effet et symptôme. Le livre propose donc « une réflexion, à la fois citoyenne et sociologique » (p. 9). Réflexion fondée sur des valeurs, qu’il faudra énoncer clairement, et sans peur. Mais aussi, et en même temps, nourrie par des savoirs. La dimension militante, et la dimension scientifique, se soutiennent et se confortent alors l’une l’autre dans cet essai dont l’auteur voudrait qu’il soit « un manifeste » (p. 10).

Pour atteindre son objectif, Gabriel Langouët propose une méthode originale, et finalement convaincante : il propose une relecture de ses propres travaux à la lumière de l’urgence révélée par la pandémie : travailler à « la fin des inégalités obscènes et à un plus juste partage » (p. 9). Et, pour rendre cette relecture plus forte, et plus percutante, il donne généreusement la parole à certains de ses lecteurs ayant proposé publiquement des analyses ou des commentaires de ses travaux déjà publiés.

L’essai se développe en quatre actes successifs. Le premier acte est celui du retour sur l’ouvrage « Les inégalités entre Etats et populations de la planète. Trop, c’est trop !» (2011). Langouët en souligne

l’acquis essentiel : l’existence, au niveau mondial, de très fortes inégalités, aux conséquences désastreuses. Les données rassemblées par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) mettent en évidence, aussi bien entre Etats, qu’à l’intérieur des Etats, des écarts aussi indignes qu’insupportables en matière de revenus, de santé et d’éducation. Le défi qui s’impose alors est de pouvoir contenir ces écarts dans des rapports raisonnables. Langouët se risque à proposer en ce sens un rapport maximal « de l’ordre de 1 à 10 ».

Le deuxième acte est constitué par la « relecture » de l’ouvrage « Les inégalités dans l’Union Européenne et ailleurs. Et si on osait ? » (2014). Après la crise de 2008, la situation mondiale fait apparaître à la fois des reculs insupportables chez les uns, des « enrichissements insensés » chez les autres (p. 29). Qu’en est-il en Union européenne ? L’Europe se porte bien, mais pourrait encore mieux faire… Après avoir laissé la parole aux auteurs de deux importantes notes critiques (l’une parue dans Le Monde, l’autre sur le site de la FSU), Langouët souligne les principaux résultats auxquels il était parvenu. Alors que, dans les trois domaines de l’IDH (Indice de Développement Humain, développé sous l’impulsion du Prix Nobel Amartya Sen), les résultats obtenus sont satisfaisants, tandis que les écarts entre pays européens restent modestes, la prise en compte d’un indice ajusté aux inégalités (IDHI), c’est-à-dire tenant compte des disparités intra-étatiques (dont les inégalités hommes/femmes) enregistrées dans plusieurs domaines, fait apparaître des « pertes de développement », qui frappent « d’abord et toujours les franges de populations les plus démunies » (p. 41). L’inégalité est ainsi « un véritable fléau », et constitue un « mal » pour lequel le remède est « simple » (en son principe !) : « réduire les inégalités pour les ramener à un seuil tolérable ». Cela pourrait être le projet fédérant et dynamisant l’Union européenne.

Un entracte, intitulé « Transition », permet à l’auteur de dégager une grande leçon de chacun des deux premiers actes. L’aspect « insupportable » de « la course effrénée d’une infime minorité vers des profits indécents », pour le premier. Et la nécessité d’ « un projet harmonieux de développement humain », dans le cadre d’ « une économie basée sur un juste partage », pour le deuxième (p. 46). Le  troisième acte est alors celui de la « relecture » de l’ouvrage « Réveillons-nous ! Pour un monde plus juste », écrit avec Dominique Groux, et publié en 2018. Cet ouvrage opère de nouvelles mises en relation (on pourrait parler, à l’heure des débats sur l’ « islamogauchisme », d’intersectionnalité) entre les composantes de l’IDH et « d’autres éléments », tels que le bien-être ressenti, et le niveau de démocratisation de l’Etat (appréciés par des indices adéquats). Avant de donner la parole à deux « lecteurs » de l’ouvrage, Langouët réaffirme sa conviction : « il paraît totalement nécessaire de réduire enfin, et d’urgence, les inégalités. Sans doute plus que jamais » (p. 50).

Le dernier acte est celui d’un double bilan : d’une vie de chercheur, et d’un moment historique particulier : « point sur la pandémie, sortie du confinement, et demain ? ». Le point sur la pandémie, et le (premier !) confinement, est certes daté (mai 2010). On est passé depuis de 26 380 à près de 85 000 morts (et, malgré les vaccins fort heureusement disponibles, ce n’est pas terminé !). Mais les enseignements que retire l’auteur sont plus que jamais d’actualité. La pandémie touche d’abord les plus fragiles. Les effets collatéraux délétères du confinement (ex : les maltraitances) frappent d’abord les plus démunis. D’une part, les inégalités sont de plus en plus insupportables. Et, d’autre part, il nous faut revoir notre modèle économique, privilégiant outrancièrement la productivité et le rendement, au détriment, et des hommes, et de la planète terre. Tout cela conduit l’auteur à réfuter « la pseudo théorie du ruissellement, qui n’est qu’un leurre ». Pour Langouët, la fin (du moins la diminution) des injustices ne viendra pas de l’enrichissement des plus riches, qui contribuerait (par miracle ?) à l’amélioration du sort de tous. Elle ne peut qu’être le résultat d’une lutte acharnée contre les inégalités. Qui pourrait passer, par exemple, par une aide internationale des Etats « extrêmement riches ». Et dans les pays riches, par un effort particulier effectué par les plus fortunés. Et qui se fonderait sur une « théorie du partage », qui, pour l’essentiel, reste à inventer (p. 71). Les lecteurs sont donc appelés à travailler à l’élaboration d’ « une économie basée sur un juste partage, dans le respect de la planète entière et de l’écologie » (p. 46). Du pillage au partage, et de l’aliénation au développement humain, Gabriel Langouët a le grand mérite, avec en quelque sorte la piqure de rappel que constitue son essai, de nous rappeler la nécessité de s’engager sur ce chemin, sous peine de disparaître. Dirigeants et/ou simples citoyens, serons-nous suffisamment nombreux à entendre et à suivre cet appel ?


Phillipe Merieu : Lien vers le site