L’aube du diable de Arnaud Zuck

L’aube du diable de Arnaud Zuck

Genre : Roman

Roman, éditions Ex Aequo. Broché (296 pages) 23 Euros, Ebook 3,99 Euros.

Résumé / synopsis

1956. L’Église catholique découvre, révulsée, le crime de sang hors norme commis par l’un des siens, jeune curé d’une trentaine d’années. Revivez de l’intérieur ce drame humain authentique et bouleversant, enfin romancé ! Jeune prêtre charismatique au charme inimitable, l’abbé Henri Breger, est vénéré par ses fidèles. Avec son style moderne, il réveille, dans une presque idylle, la vie de la paroisse encore meurtrie par les récentes blessures de la guerre achevée une décennie auparavant. Mais… dans l’ombre de son dévouement, entre les prônes et les confessions, le rock’n’roll et les fêtes du village, le père Henri partage avec ses paroissiennes éperdues bien d’autres plaisirs. Pris à son propre piège, l’abbé va s’acharner à étouffer un secret qui le dévore, susceptible de le conduire à sa perte… Il s’apprête à commettre l’horreur insoutenable, proche de le mener à l’échafaud. L’Aube du diable ravive, dans ses moindres détails, un souvenir déchirant qui continue de glacer le sang, 65 ans après. On assiste, impuissant, à la dérive de la raison jusqu’à l’éclosion du mal…

Avis du chroniqueur sur l’aube du diable de Arnaud Zuck

L’AUBE DU DIABLE, LE DIABLE EN AUBE.

Pourquoi le « fait divers » fascine-t-il toujours autant, alors que ces deux mots se réfèrent à des crimes parmi les plus abominables ? Le monstre diabolique tapi sous des dehors angéliques a toujours fait florès.

Avide d’émotions fortes, le public s’est de tous temps passionné pour le fait divers, dont la presse « spécialisée » relayait avec force gravures horrifiques les abominations dont les écrivains se sont inspirés pour camper certains personnages de romans : Dumas pour le Comte de Monte Cristo, Stendhal pour Julien Sorel, Flaubert pour Emma Bovary… « Du sang à l’encre, les canards (propagés par les colporteurs) au XIXè flatteront les peurs et les angoisses de populations gavées de sensationnel à la criée. » [1]

« Détective, le grand hebdomadaire des faits-divers « naît en 1928, avec ses dessins très réalistes et ses titres racoleurs, suivi en 1930 par son concurrent « Police mag« . Le 17 décembre 1956, Détective fait sa une avec une photo de Régine Fays, la jeune femme de 19 ans assassinée par le curé du village Guy Desnoyers, ainsi légendée : « Uruffe pleure« , et c’est la France entière qui va être horrifiée, réclamant la peine de mort pour l’odieux meurtrier. Dans les années 50, l’Église occupe une position prédominante dans les milieu ruraux. Le curé, comme le maire et l’instituteur, représentait une autorité morale écoutée. Il détient, de fait, un incroyable pouvoir de conviction, à fortiori s’il est un comédien né, et un impénitent séducteur !


[1] Pierre Drachline Le fait divers au XIXè siècle (Hermé, 1991)

Tel est Guy Desnoyers, qui, sous la plume d’Arnaud Zuck devient Henri-Jacques Breger, personnage de son premier roman « L’aube du diable ». L’auteur est avocat, on imagine que le professionnel s’est passionné pour cette effroyable affaire, dont le « héros » a, contre toute attente, échappé à la guillotine. L’auteur narre, dans le détail, la vie de cet homme de bien peu de foi et dévoré de pulsions sexuelles qu’il n’a de cesse d’assouvir avec ses paroissiennes, et qui le conduiront à commettre un horrible meurtre. Prémédité, de sang froid.

Décortiquant son personnage avec minutie, le narrateur -omniscient- le livre non sans une certaine délectation dans toute sa duplicité, mais aussi son charisme, car l’homme est particulièrement retors.

De façon très vivante, étayant la narration de nombreux dialogues, se faisant parfois caméra subjective pour mieux pénétrer la psychologie de Henri, curé de Marchiennes (village de Flandre, pour Uruffe, en Meurthe-et-Moselle, théâtre du crime original), Arnaud Zuck, construit son roman comme un thriller. Même si on en connaît déjà la fin, comme dans tout excellent polar, on passe sans cesse de la fascination à la révulsion.

Petite histoire dans la grande, à laquelle des allusions sont souvent faites avec une érudition qui sait ne jamais être pédante, celle d’Henri est si hors norme que l’on pourrait imaginer que la fiction dépasse ici la réalité. Or, il n’en est rien. Breger est suivi presque au jour le jour, dans ses activités sacerdotales où son charisme et sa « modernité » rallient tous les suffrages de ses ouailles. Le garçon est beau, à damner une paroissienne, et elles sont nombreuses à lui céder. Mais il est roublard, menteur, « cavaleur patenté » (p.28), client d’une maison close parisienne, hâbleur, roué, voleur aussi, quitte à s’associer à un malfaiteur. Mais surtout, il a un infini pouvoir de séduction et de persuasion,  il le sait, en use et en abuse. Sous les allures d’un ange et en toute tranquillité d’esprit, il mène une « (…) existence paisible, ponctuée de tous les plaisirs immoraux auxquels il n’avait cesse de s’adonner. » (p.137)

D’autant plus sereinement que l’autorité ecclésiastique, au fait de ses frasques donjuanesques, s’est contentée de le changer de paroisse. Les clins d’œil au lecteur et l’humour ponctuent aussi le récit : de Breger, le narrateur précise : « il aurait pu être un personnage de roman« , et l’auteur, lui, ne manque pas de dénoncer, ici ou là :

« (…) résoudre efficacement un problème en le déplaçant. Après tout, l’Éducation Nationale et bien d’autres corps avec elle ne firent pas différemment pendant des décennies. Fermer les yeux, puis déplacer… »  (p.26)

Jusqu’à ce qu’une jeune fille, enceinte des œuvres du prêtre, ose lui résister. La tragédie est alors en marche, se met en place, mûrie dans l’esprit dérangé et psychopathique de Bruger, dont l’ego surdimensionné ne saurait accepter quelque résistance que ce soit, à fortiori s’il craint qu’elle ne vienne déranger ses plans. Le sacrifice expiatoire de l’agnelle innocente est décidé. Le lecteur devient spectateur horrifié du drame en train de se jouer.

Est-ce l’avocat qui a si habilement romancé les faits réels qui transparaît, alors que le récit touche à sa fin ? En écrivant ce livre, minutieusement documenté, a-t-il songé un instant qu’il aurait pu, en ces années 50, être amené à défendre un tel homme, s’il avait été pénaliste ?  On se pose parfois la question, tant il est difficile d’imaginer, ce que le narrateur laisse entendre, des circonstances atténuantes à ce diable d’homme, résumé dans le titre et pour lequel on ne peut à aucun moment éprouver la moindre sympathie. En revêtant son aube, l’officiant doit prononcer cette prière, dont les mots résonnent étrangement lorsque l’on referme le livre : « Purifie(z) moi, Seigneur, et lave(z) mon cœur, pour que, purifié dans le sang de l’Agneau, je puisse me réjouir éternellement. »

Ce premier roman est un vrai coup de maître, dans tous les sens du terme.

Un seul petit bémol, qui n’engage que moi : comme d’un amant, j’attends du narrateur qu’il me saisisse et m’entraîne, sans m’impliquer en s’adressant à moi, lectrice, ou qu’il intervienne pour en rajouter. Les « comme on l’a dit« , « comme l’on sait » « il faut bien l’avouer » « d’aucuns diront » « on le voit » souvent répétés m’ont semblé superfétatoires, dans une narration d’une grande qualité littéraire pour l’histoire de cet

 « homme sans scrupule, sans amour, sans aucune considération pour autrui, peut-être sans âme, tout simplement » (p. 181)

*L’Aube du diable, de Arnaud Zuck, éditions Ex Aequo, mars 2021

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