Le manga, longtemps perçu comme le segment le plus dynamique du marché de l’édition, semble aujourd’hui traverser une crise. Après un essor fulgurant post-Covid, la surproduction de titres et la multiplication des librairies spécialisées ont conduit à un recul des ventes et à la fermeture de plusieurs points de vente. Retour sur un phénomène complexe qui touche l’un des secteurs les plus populaires de l’édition en France.
Un Marché En Pleine Contraction
Après plusieurs années d’expansion impressionnante, le marché du manga français connaît une période de recul. En 2024, les ventes de mangas ont chuté de 9 % en volume, avec 35,9 millions d’exemplaires vendus, un chiffre certes élevé, mais qui masque une tendance préoccupante. La contraction des ventes s’étend également au début de l’année 2025, avec des baisses continues en valeur et en volume. Cette situation contraste fortement avec l’essor fulgurant des années précédentes, où les ventes avaient doublé en 2021, boostées par la pandémie de Covid-19 et la généralisation du Pass Culture.
Les Causes de la Dégringolade
Plusieurs facteurs expliquent cette régression. Tout d’abord, la crise économique qui touche de nombreux secteurs, ainsi que l’augmentation des coûts d’exploitation des librairies, contribue à la fragilisation du marché. Les librairies spécialisées, confrontées à des charges accrues et une concurrence accrue, ferment leurs portes ou sont en difficulté, comme l’illustrent les fermetures récentes de magasins comme Inoku Mangas Store et Manga’Cha. De plus, le marché, bien qu’encore puissant, souffre d’une saturation des titres proposés. En 2024, plus de 3 200 mangas ont été publiés, un nombre bien supérieur aux années précédentes, ce qui a entraîné une surabondance de nouvelles sorties. Les libraires, saturés, peinent à suivre le rythme et à faire émerger les titres les plus prometteurs.
La Surproduction : Un Phénomène Contre-productif
La surproduction est l’un des phénomènes les plus marquants de cette crise. De nombreux éditeurs ont réagi à l’explosion de la demande en publiant de plus en plus de titres, parfois sans prendre en compte l’intérêt réel du public. En conséquence, de nombreux premiers tomes sont restés sur les étagères, non vendus, ce qui pèse lourdement sur les finances des librairies spécialisées. Les éditeurs, espérant capitaliser sur la popularité croissante du genre, ont inondé le marché de mangas, souvent au détriment de la qualité et de la diversité. La situation a abouti à un phénomène de saturation, rendant difficile pour les lecteurs de faire leur choix parmi une offre pléthorique.
Un Retour à la Normalité ? Le manga l’espère…
Certains observateurs du marché, comme Julien Pelletier, gérant de la chaîne Japanim, estiment que la situation actuelle est le résultat d’une “correction du marché” après l’explosion des ventes post-Covid. Selon lui, les librairies spécialisées retournent désormais aux chiffres de ventes d’avant 2020, ce qui pourrait signaler un retour à une situation plus stable. Toutefois, cette “normalisation” comporte des risques pour les libraires, qui ont investi dans des stocks lourds sans savoir quels titres seraient véritablement populaires.
L’Impact de l’Anime et des Produits Dérivés
Dans ce contexte difficile, certains titres continuent de se démarquer. L’impact de l’adaptation anime joue un rôle crucial dans la réussite de certains mangas. Des séries comme Oshi-no-Ko et Blue Box ont connu un engouement considérable, alimenté par l’engouement des fans d’animé. De plus, l’essor des produits dérivés, comme les figurines et les cartes, permet aux librairies de compenser partiellement la baisse des ventes de mangas. Ces stratégies diversifiées, bien qu’efficaces à court terme, soulignent une dépendance croissante à des produits non-livres pour maintenir l’équilibre économique des librairies spécialisées.
Vers une Sélection Plus Stricte dans le manga
Le marché du manga en France se trouve à un carrefour. Bien qu’il conserve un large public et un intérêt constant, les librairies spécialisées et les éditeurs devront revoir leur stratégie face à la surproduction et aux attentes des consommateurs. La sélection des titres deviendra un enjeu majeur pour les acteurs du marché, qui devront naviguer entre l’engouement du public pour certains genres et l’inefficacité d’une offre excessive. L’avenir du manga en France dépendra de la capacité de l’industrie à s’adapter à ces nouvelles réalités économiques tout en répondant à la demande d’un public toujours passionné mais plus exigeant.