Jacques Neirynck présente « La carrière de craie »

A l’occasion de la sortie de son nouveau livre « La carrière de craie », Jacques Neirynck, une plume d’expérience, nous a accordé un entretien exclusif. Pour rappel, l’auteur est un ingénieur, ancien conseiller national au parlement fédéral suisse, professeur honoraire de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Il est auteur d’une dizaine de romans.

– Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

J’ai trois nationalités, suisse, française et belge. J’ai pratiqué une dizaine de fonctions : ingénieur, mineur, colon, enseignant, chercheur, éditeur, libraire, écrivain, député, comédien. Je ne puis donc m’identifier à rien de précis et je ne puis m’intéresser longtemps à une seule activité.

– Votre livre « La carrière de craie » est paru aux éditions l’Harmattan, pouvez-vous nous le présenter ?

Apparemment le sujet est d’une rare banalité : le licenciement d’un cadre âgé avant qu’il puisse prendre sa retraite et sa réduction au statut de SDF. La ville qui sert de décor est dévastée par la fermeture de sa seule entreprise. Le héros perd à la fois son emploi, sa famille, sa maison. Il se réfugie dans la carrière de craie qui donne le titre au livre. La rumination de son passé dans cette retraite imposée lui ouvre les yeux sur la vacuité et l’imposture de sa vie antérieure. Cette épreuve personnelle est une métaphore des crises qui secouent le monde occidental, où tout semble défaillir à la fois.

L’originalité du livre est la remontée du héros qui réussit petit à petit à s’en sortir par la liquidation des séquelles du passé, par la découverte d’un poison bien caché dans le secret de la famille, par la réappropriation d’un métier et par l’engagement dans le sauvetage de la ville. Il ne se sauve qu’en sauvant les autres de façon à la fois modeste et réaliste. De même les épreuves qui nous accablent peuvent et doivent être surmontées si elles sont considérées comme des occasions de réforme.

– Nous pouvons lire sur la 4ème de couverture du récit que cette chronique relate des évènements réels, pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai été frappé par la coïncidence entre les mémoires de Georges Simenon et une foule de péripéties de ses romans. Un récit doit frapper par son authenticité et la vie de tous les jours est la meilleure alliée de l’écrivain. « La carrière de craie » est donc une mise en perspective de multiples fragments de la réalité vécue et de l’actualité. A titre d’échantillon, l’expérience personnelle de ma migration de Belgique en Suisse a constitué la libération de toutes sortes de liens professionnels, culturels, familiaux. J’ai expérimenté la possibilité d’un salut par un acte volontaire, risqué, révélateur.

– Quel est le passage préféré de votre roman ?

« Je me réveillai vers une heure du matin, sans raisons. Le silence était absolu, j’avais encore sommeil, mon corps était détendu. Je crus d’abord que je rêvais cet éveil, mais en ouvrant les yeux je vis la veilleuse au plafond qui projetait sa lumière sur les parois d’un blanc éclatant. J’étais bien couché dans mon lit au fond de la carrière de craie de Quesnoy. J’étais bien le directeur licencié, le fils indigne, le mauvais frère, le mari trompé devenu veuf par le suicide de sa femme, le père factice sans nouvelles d’une fille qui n’était pas la sienne, le sans domicile fixe, l’inutile, l’inconsolé.

Dans cet état de lucidité extrême, j’eus soudain la perception d’un grand feu, au point que je me redressai à moitié pour vérifier que rien ne brûlait dans le souterrain. Je réalisai alors que cette vision de feu était intérieure et je reconnus un de mes textes favoris, le Mémorial de Blaise Pascal, le récit de sa vision du 23 novembre 1654, qui commence par le simple mot FEU écrit en majuscules. Je savais dès lors ce qui m’attendait. Je ne bougeai plus, je chassai toute pensée de mon cerveau, je demeurai ouvert à ce qui advenait.

Je fus envahi par une joie indescriptible, qui n’avait à rien à voir avec l’état où je me trouvais. Cette allégresse me protégeait de toute agression et elle me garantissait que mon malheur ne durerait pas, parce qu’il n’avait aucune substance. J’éprouvai ensuite la certitude d’être sauvé sans réserve, malgré mes fautes dont je revis en un éclair la liste infinie, et même le détail de celles dont je ne me souvenais plus ou dont je ne m’étais pas rendu compte sur le moment.

Je renonçai au moi le plus détestable et je me vis alors tel que j’étais avec ce qu’il y avait de meilleur en moi. Ensuite me vint la pensée que j’étais peut-être en train de mourir et que ce que je ressentais coïncidait avec la description des rescapés de la mort proche. Mais je fus tout de suite rassuré. Je n’étais pas dans l’imminence de la mort, j’accédai à une vie nouvelle. Et au même instant, son œuvre accomplie, le sentiment de joie se retira doucement comme l’océan à marée descendante. »

– Avez-vous un message pour vos futurs lecteurs ?

Message est un trop grand mot pour une leçon de vie réaliste, pratique, modeste. Nous traversons pour l’instant l’épreuve de la peste. La guerre rode toujours à nos marches. La transition climatique peut engendrer la famine. Les fléaux traditionnels n’ont pas été éliminés par la science et la technique. Cependant chacune de ces épreuves  peut être surmontée si elle est considérée comme l’initiation à une autre vie. Chacun a éprouvé ce genre de passage intérieur. Le thème du roman est l’engendrement d’une confiance en soi.

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Site de l’auteur : https://www.jacques-neirynck.com/