Instant de grâce
Genre : Roman
Prix : 3,99€ kindle / 24€ Broché
Résumé / synopsis
Est-ce le hasard qui a décidé que se rencontrent Frédéric le musicien et François l’auteur ? Ils passent à tour de rôle à la radio en direct, non sans une appréhension qui fait naître en eux une empathie réciproque. Ainsi, ce rapprochement sera suivi d’un tête-à-tête au restaurant. Hors Frédéric irradie un charme tout de réserve et de discrète féminité qui suscite en François une attirance immédiate. Les liens très forts qu’ils tissent côte à côte seront ponctués d’élans et de retenues. Pourquoi ?
Quel traumatisme lié à l’adolescence de Frédéric le perturbe aussi douloureusement ? Qu’est-il arrivé à François dans sa petite enfance dont les souvenirs lui reviennent en filigrane ?
Chaviré entre les instants de grâce et les moments de désespoir destructeur de Frédéric, François note dans un carnet ce qui désormais conduit le fil de ses jours. Leur relation empreinte d’une sensualité fine très présente touche notre sensibilité et invite à l’émotion. L’écriture délicate, subtile, nous fait vivre de l’intérieur leurs ressentis, ce qui confère à ce récit toute sa singularité.
Avis du chroniqueur sur Instants de grâce
« L’amour (…) est-il capable, seul, de réparer ? » (page 346)
Réparer le traumatisme d’un viol subi à l’adolescence, réapprendre à un corps abîmé qu’il peut éprouver du plaisir, sans continuer à rechercher ce qui fait mal, ce qui blesse en entretenant ainsi les cauchemars de la violence subie ? Réparer le cœur décousu, en étant à l’écoute, en offrant bienveillance, patience, amour fou sans rien consumer ?
Tel est l’enjeu du narrateur, François, -peut-être un avatar de l’auteur au prénom épicène- qui aime Frédéric, le pianiste si fragile, à la masculinité si féminine et au prénom euphoniquement androgyne. On songe à ce tableau de Bussière, où deux nymphes au sexe indéterminé se câlinent dans une onde d’où jaillissent des iris… Prénom de Chopin aussi, est-ce un hasard ? Pour lire ce récit d’une résilience (au sens psychologique du terme), il faut s’extraire de la brutalité et de la vélocité du monde qui nous entoure. Le carnet que noircit François pour y consigner tous les développements de son histoire avec celui qu’il aime éperdument épouse justement la partition d’un nocturne de Chopin, (l’opus 9, numéro1) compositeur que Frédéric aime tant interpréter. Le mouvement est d’entrée de jeu larghetto, les notes doivent être jouées legatissimo avant un intermède appassionato, suivi de con forza, avant de s’achever ritenuto. La force, c’est l’amour de François, qui osera tout, y compris la vengeance pour tenter d’aider celui qu’il aime à se reconstruire dans et par l’amour. Il mettra sous le boisseau sa propre passion, s’effacera lui-même pour offrir à son bien-aimé concertiste le bonheur de se réapproprier son corps et son âme cabossés, dans une pudique retenue.
Tout est ouaté, exprimé mezzo voce, mais tout est violent dans ce livre, d’ailleurs dédié à tous ceux qui ont été abîmés, ont subi un viol. On navigue sans cesse d’une grande douceur, celle des propos feutrés, infiniment sensuels, à la brutalité des trop douloureuses réminiscences que Frédéric ne parvient pas à surmonter. Le lecteur est plongé dans l’intime de ces deux hommes amoureux, leur improbable rencontre, leur vécu personnel, leurs longs dialogues, leurs errements, leurs réflexions, leurs craintes et leurs peurs face à la stupidité agressive trop souvent croisée. Un érotisme très subtil se dégage des jolies scènes d’amour, ces instants de grâce, parfois entachés de spectres funestes et trop prégnants quand le corps autrefois martyrisé aspire à l’être encore.
Si les thèmes abordés sont d’une brûlante actualité : le viol, le harcèlement sexuel, l’homophobie, la fluidité du genre, l’abus sexuel dans l’enfance, il faut déguster cet ouvrage à petites lampées, en prenant le temps d’en savourer le style délicat et raffiné de l’auteur, qui réussit à exposer la très grande sensualité de ses deux personnages avec une pudicité toute en retenue, une décence dans l’écriture qui met haut la barre de l’érotisme, sans jamais être ni vulgaire, ni commun, survolant d’une plume très fine les émois que nous percevons, qui nous touchent et nous bouleversent.
Un beau roman, au rythme lent, hors du temps mais bien ancré dans le temps présent, et dont s’échappent parfois quelques effluves délicieusement surannés. À lire d’urgence.
Chronique de Julie-Anne de Sée : Facebook