A l’occasion de la récente sortie de son nouvel essai « Non aux inégalités obscènes ! Oui à de plus justes partage ! », Gabriel Langouët nous a accordé un entretien exclusif.
Pourriez-vous en quelques lignes vous présenter et présenter votre parcours professionnel et littéraire ?
Orphelin de père à deux ans, à la veille de la seconde guerre mondiale, je dois presque tout à ma chère maman, et à deux ou trois de ses proches, qui l’ont soutenue et m’ont choyé, n’ayant de cesse de me rappeler la belle image qu’ils avaient conservée de mon père. Mais aussi à l’École, à tous ses niveaux, qui m’a permis d’acquérir, voire de communiquer, la joie d’apprendre et de comprendre.
D’abord, grâce à deux enseignants exceptionnels, un instituteur puis un professeur de collège, à la fois exigeants et dévoués, dont le souvenir m’est très cher. Ils m’ont insufflé le goût des études à des moments très opportuns, puis su m’encourager et m’aider à suivre la voie professionnelle qu’ils avaient eux-mêmes empruntée. Ainsi, ma carrière professionnelle a-t-elle commencé par une vingtaine d’années consacrées à la formation des enfants puis des adolescents : d’abord instituteur, puis, par promotion interne, professeur de collège, principalement en mathématiques, enfin adjoint au chef d’établissement.
Mais je ne voulais pas en rester là. Sur les conseils d’un ami, lui-même universitaire, et grâce aux vifs encouragements de quelques autres, dont ma directrice de thèses, j’ai entamé un long parcours de formation. En définitive, il a duré un peu plus de dix ans, de l’obtention d’une licence à celles d’un doctorat de troisième cycle, puis d’un doctorat d’État en sociologie. Il m’a conduit à réaliser une carrière universitaire d’une trentaine d’années, marquée notamment par la parution individuelle ou collective d’une bonne trentaine d’ouvrages. Une véritable passion, qui perdure toujours, bien au-delà de la « retraite ».
Comment avez-vous eu l’idée de votre dernier essai ?
Je voulais, depuis longtemps, écrire pour un public plus large, bien au-delà de la communauté scientifique plus directement concernée. Je pense faire partie de celles et ceux qui ont démontré, de maintes façons, que les inégalités de tous ordres s’accroissent souvent de façon exponentielle et constituent un fléau, non seulement pour les humains, mais aussi pour la planète, de plus en plus menacée. Il ne s’agit plus seulement d’informer, mais aussi d’alerter. D’où cette idée d’un essai qui soit un manifeste et un cri, même s’il doit rester calme et serein.
Nous avions, Dominique Groux et moi-même, pensé le faire, à partir des données rassemblées dans notre ouvrage commun, « Réveillons-nous ! Pour un monde plus juste ». J’y avais aussi songé lors des nombreuses manifestations des « Gilets jaunes » : une fronde certes, mais l’expression d’un véritable mal social, et le fait de populations souvent abandonnées par l’État, résidant dans des zones touchées par les crises. Ils connaissent de difficiles fins de mois, des difficultés d’accès au travail… Un mal qui n’est qu’endormi, et peut se réveiller brutalement, dès demain. La Covid-19, et la crise sanitaire qui s’est mondialement propagée à la vitesse de l’éclair, m’ont paru un exemple encore plus pertinent. Le confinement nous a empêché de mener ce projet en commun, et je continue de le regretter.
De quoi traite votre dernier essai ?
Il traite des liens entre les inégalités de toutes sortes, notamment lorsqu’elles deviennent excessives, et des situations vécues par les populations qui en sont victimes, en particulier lorsque ces inégalités sont exacerbées par des conditions exceptionnellement difficiles, les rendant totalement insupportables. Ce peut être le cas d’un État isolé, touché par un puissant séisme, une situation de famine ou de guerre par exemple… Dans le cas de cette pandémie, c’est l’ensemble de la planète qui est touchée, à commencer par les humains les plus pauvres, même s’ils habitent dans des pays très riches, car la Covid-19 ne peut que creuser les écarts entre riches et pauvres, tant entre les États qu’à l’intérieur des États.
C’est le cas de la France, que j’ai principalement observée, tout en la regardant par rapport à d’autres, ses voisins notamment. Il est trop tôt pour dresser un bilan, mais il n’est pas certain que nous ayons toujours été parmi les meilleurs.
Pour vous, quel serait le moyen de sortir de la crise économique actuelle ?
La crise économique actuelle résulte de la crise sanitaire : chômage partiel, moindre insertion des jeunes sur le marché du travail, etc. Et elle accroît la pauvreté, même si les aides, en France, ne sont pas négligeables: un million de Français de plus, et sans doute bien davantage, devraient en franchir le seuil. Parmi eux, beaucoup de femmes ayant charge d’enfants. Les réponses devraient être coordonnées, entre les États, et si possible au niveau mondial, par exemple à propos de la santé, ou de l’éducation et du bien-être.
Il faudrait, sans conteste et d’urgence, réduire les inégalités, en accroissant fortement les aides aux plus démunis et les salaires les plus bas, notamment ceux des femmes ; mais aussi augmenter les impôts des plus riches, par exemple grâce à un Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) profondément remanié, plus égalitaire et plus progressif ; et supprimer, définitivement et mondialement, tous les paradis fiscaux.
Pouvez-vous donner votre avis quant aux mesures prises par le gouvernement français concernant la situation sanitaire que nous vivons aujourd’hui ? La vie sociale future peut-elle être impactée ?
Il est sans doute trop tôt pour porter des jugements définitifs, face à une situation difficile, et inédite. Sans doute, le confinement total était-il indispensable, et peut-être même un peu tardif, pour permettre aux services de santé de s’adapter et de répondre dans les meilleures conditions à une demande exceptionnelle. Mais il faudra bien réfléchir aux hésitations ou tergiversations que nous avons connues, à propos des masques ou des tests par exemple ; aussi, à l’absence de la recherche d’une concertation plus démocratique et décentralisée quant aux prises de décisions. D’autant que le second pic renouvelle à son tour d’autres faiblesses, et sans qu’un troisième pic soit exclu. Mais n’aurait-il pas fallu, pour assumer la situation, sans risquer de sacrifier les autres malades ou patients, d’abord attribuer des moyens conséquents à nos services hospitaliers, et surtout à leurs personnels les plus humbles, car leurs maigres augmentations n’étaient de fait que des aumônes.
La vie sociale a déjà été profondément impactée, et devra le rester. Par exemple, en conservant ou en reprenant si besoin, dans des délais très courts, des mesures sanitaires indispensables, telle la distanciation, le masque ou le lavage des mains, mais aussi en instituant des mesures préventives efficaces, qui s’imposent dans une société mondialisée, par exemple en prévoyant des contrôles dans les aéroports, qui puissent être opérationnels dès qu’apparaît le moindre risque d’une nouvelle pandémie.
Quel message voudriez-vous faire passer à vos futurs lecteurs ?
Je voudrais que chacun comprenne que notre planète est très menacée, que nous n’en avons qu’une et qu’il y a extrême urgence. Nous en connaissons les responsables : ce sont les êtres humains, et notamment ceux qui l’exploitent sans vergogne, pour leurs propres bénéfices et au détriment des autres, notamment les pauvres ou très pauvres. Comme tous les fléaux, la Covid-19 nous le confirme une fois de plus, il faut changer de chemin, mieux partager les richesses en réduisant les inégalités, entre tous les humains. Cela suppose, d’abord et au niveau mondial, l’élimination de la grande pauvreté et la nette régression de la pauvreté. Mais il faut aussi, sans tarder, supprimer les inégalités qui n’ont aucun sens ni justification, à commencer par les inégalités entre les femmes et les hommes, par exemple en inscrivant l’égalité au plus haut niveau, dans nos constitutions. Eu égard à son histoire, la France s’honorerait en étant parmi les premiers États à le proposer.
Je voudrais un monde dans lequel l’économie soit d’abord au service de l’écologie, mais aussi de la santé et de l’éducation des populations, et dans lequel le niveau de bien-être de l’ensemble des humains l’emporte sur celui du produit intérieur brut disponible pour chacun. Et je voudrais que ce choix soit largement partagé.
Quels sont les passages de votre livre que vous préférez le plus ?
Les passages que je n’ai pas personnellement écrit et qui ont permis à d’autres d’exprimer leur propre point de vue. C’était, bien sûr, pour moi, une manière de les remercier et de les associer, mais aussi parce que, pour les futurs lecteurs, leur perception serait plus convaincante que ma propre expression, fut-elle étayée. Je crois que c’est le cas. J’ai souvent pensé que la bonne vulgarisation restait toujours un exercice très difficile pour le chercheur lui-même. Je suis plus convaincu que jamais qu’il est préférable de la confier à d’autres.
S’il y avait des critiques à faire sur cette œuvre, selon vous quelles seraient-elles ?
Il y en a de nombreuses, bien évidemment. En particulier le fait d’avoir été confiné seul, en grande partie isolé du monde, privé de contacts directs avec la plupart de mes proches, même si j’ai pu échanger avec eux ou avec elles, grâce aux médias. Je sais que mon point de vue provisoire reste partiel, et peut-être même partial, ne constituant au mieux qu’une étape ; et aussi que le temps de confinement, qui a pu paraître très long, a sans doute, paradoxalement, pu être trop court, pour ce type de réflexion.
A contrario, s’il y avait des compliments à faire sur cette œuvre, selon vous lesquels seraient-ce ?
Il est difficile de s’auto-complimenter. Je ne peux, néanmoins, me reprocher d’avoir été parmi les premiers, à partir d’un corpus de données internationales difficilement contestables (celles du Programme des Nations Unies pour le Développement – PNUD), de contribuer à montrer que les inégalités excessives, qui ne cessent de croître, constituent un véritable fléau et l’obstacle majeur au développement humain. Il faut le répéter aux nombreux économistes qui voudraient continuer à y croire, rien ne ruisselle lorsque le ru est sec.
En voulant créer ce lien entre les inégalités et cette nouvelle pandémie, j’ai souhaité montrer que la Covid-19 était déjà la maladie des pauvres, des mal-logés ou des non logés, des familles nombreuses et des zones surpeuplées. Nous savons déjà que la pauvreté et le chômage ne peuvent que croître, même dans les pays riches, et à plus fortes raisons dans les pays moins riches. Sauf si l’on agissait résolument pour qu’il en soit autrement, ce à quoi j’aimerais contribuer.
Acheter l’œuvre : https://gabriel-langouet.com/non-aux-inegalites-obscenes-oui-a-de-plus-justes-partages/